J. UNE GUILLOTINE DANS UN TRAIN DE NUIT (2012)
J. UNE GUILLOTINE DANS UN TRAIN DE NUIT (2012)
Il n’était plus le Sitarane qui agissait sans prévoir, qui regardait sans rien voir, qui entendait sans rien comprendre, le nègre reconnaissable de jour comme de nuit par l’affaissement des épaules et de la volonté. Un sourire sur les lèvres, il tourna le dos à son métier d’ouvrier agricole, de charretier, de gardien. Désormais, il travaillerait pour lui, non pour le maître. Tout d’abord, il aurait l’attitude d’un noble guerrier ; il marcherait la tête haute, le regard fier et droit, avec le sentiment d’exister – d’exister pour lui, en dépit de ce qu’on raconterait sur lui en termes désobligeants. Ensuite, il oublierait tout ce qu’il avait fait jusqu’à maintenant et s’orienterait vers une existence qu’il imaginait riche en rebondissements, ensoleillée, triomphale, et il parlerait de cette voix qui inverse le cours des choses, avec la sensation d’être invisible ; ni vu, ni connu, ni reconnu. Et il n’était plus question d’avoir des regrets mais d’avancer vers la nouvelle vie qui lui faisait des yeux doux (chapitre 2, « Vengeance », p. 49-50).

SITARANE : POINTS DE VUE DE...

Reçu le 28 août 2012
J'ai lu le court extrait en quatrième de couverture de ton dernier opus. J'ai hâte de l'avoir entre les mains.
Alain Junot

Reçu le 24 septembre 2012   Pas de nouvelles, bonne nouvelles dit-on. J'espère que l'adage se confirme. Je t'imagine, toujours à apprécier l'ordinaire des jours pour en faire l'extraordinaire de la vie littéraire. Pas de nouvelles non plus de ton dernier opus et là, il y a lieu de s'interroger. Cela dit tout arrive à qui sait attendre.
Alain Junot

Reçu le 27 septembre 2012
Cher Jean-François   Je viens de finir La Nuit cyclone, roman bouleversant, compréhensif, tout à fait convaincant. J'ai cru absolument à la « voix » d'Alexina qui sonne juste. Son histoire me fait penser un peu à la Tess de Thomas Hardy (vous connaissez ?), bien qu'elle soit très différente et d'un tout autre milieu (en plus que d'un autre destin) -- le sens du fatidique et la représentation minutieuse du « cadre » des personnages -- leur travail, leur histoire (le legs de l'oppression du passé -- et du présent), le rôle que joue chaque aspect du pays(age) non seulement dans ce qui leur advient mais dans leur pensée même, dans les images/métaphores par lesquelles ils pèsent leurs actions et ce qu'ils éprouvent. C'est comme si le paysage lui-même était un personnage du roman, à sa façon. J'aime bien ce livre et ça ne m'étonne pas du tout qu'il ait été nominé pour le Médicis...  Je remarque aussi avec intérêt que, juste avant de commencer à lire ce roman, je venais de lire un conte suisse qui ressemblait étrangement en quelques points à l'histoire inquiétante et hypnotique de Nélahé qu'apprend Alexina. Je sais que ce livre est sorti il y a longtemps déjà mais pour moi c'est une découverte, un livre très intéressant et très émouvant. Cordialement, Tracy.

Réponse en date du 28 septembre 2012
Chère Tracy,
Oui, mon roman La Nuit cyclone a paru en 1992, et pourtant soit on le découvre (comme vous), soit on se remet à le relire des années après. C'est curieux, vous le savez mieux que moi, la destinée d'un roman, d'un recueil de poèmes ou d'une pièce de théâtre.
Je ne connais pas l'histoire signée par Thomas Hardy, ni de contes suisses traduits en français, et je le regrette.
L'histoire de Nélahé est liée à la mythologie malgache, et je crois que je l'ai empruntée à Evariste de Parny, un poète réunionnais du XVIIIe siècle.
Comme vous l'avez remarqué, cette histoire permet à Alexina de vivre sa propre (cruelle) histoire sans trop souffrir dans sa chair et son âme, comme si c'était quelqu'un d'autre qui la vivait à sa place par le phénomène du dédoublement, et le pardon qui s'ensuivra sera d'autant plus "facile" pour elle, et plus "acceptable" pour le lecteur ; cette histoire permet à l'écrivain d'éviter le piège du voyeurisme en suggérant la scène, non en la décrivant...
Le paysage a le rôle d'un actant ? Oui, bien sûr. Aucun d'entre nous n'échappe, me semble-t-il, à la double pression de l'espace et du temps - et c'est valable aussi pour mes personnages qui s'inscrivent nécessairement dans cette double dimension.
Vous qui avez écrit et mis en scène une pièce de théâtre : l'univers du théâtre, dans sa signification profonde, celle de la communication, est-il si différent de l'univers du roman ? Il me semble que "fonctionnel ou décoratif, le signe théâtral est émis volontairement, et son rôle est de signaler, de communiquer..." Ce qui m'intéresse également, dans l'univers du roman, c'est signaler, communiquer, suggérer par le biais des éléments qui appartiennent à l'espace. Si ces éléments sont imposés dans la réalité, il n'empêche que dans la fiction le romancier les choisit, les sélectionne, les place à tel endroit plutôt qu'à tel autre en quête d'un effet sur le personnage, puis sur le lecteur (au théâtre, sur le spectateur). Si le théâtre est un ensemble de signes, le roman l'est également -  signes que le romancier emprunte à la réalité. Mais tout est organisé, réorganisé, désorganisé pour créer du sens, ou pour ce que j'appelle un ailleurs du sens. L'instabilité du signe ne participe-t-elle pas à l'instabilité du personnage ? Et si l'acteur peut se transformer en décor, Alexina ne peut-elle pas vouloir se fondre dans le décor afin d'abolir tout le mal qu'on a fait à son corps ? Corps et décor ne doivent plus faire qu'un. Elle sait que ce n'est que pure illusion, et pourtant elle a besoin d'y croire pour pouvoir continuer à mettre un pied devant l'autre, jusqu'à toucher du doigt le pardon...
Tout ce discours que vous connaissez parfaitement, chère Ryan, pour vous dire combien j'aimerais lire l'un de vos ouvrages, roman, poésie ou théâtre.
Bien cordialement
Jean-François SAMLONG
Nota : vous ne devriez plus tarder à recevoir Une guillotine dans un train de nuit. Le roman est déjà en vente en France et à La Réunion...

Envoyé le 01 octobre 2012
Bonjour, Michelle !
Cela ne me surprend pas ce que tu me dis à propos de tes deux chiens ; un cœur généreux est ouvert à tous, à la planète. Ce cœur-là aime les hommes, les bêtes, les plantes - bref, tout ce qui vit.
A travers l'histoire des deux bergers allemands, j'ai voulu montrer que la souffrance faite à la bête est une souffrance faite à l'homme. Ta réaction émotive par rapport à ce chapitre de mon roman le prouve clairement.
Moi, je n'ai jamais eu de chien ; j'ai eu deux tortues, on me les a volées.
Sandra a un chinchilla, depuis des années déjà.
J'ai les chats de mes voisins dans mon jardin, surtout quand je viens de tondre le gazon, et les oiseaux sur mes arbres, dans le ciel...
Tu liras le mot de Karoli Sandor Pallai à propos des échanges sur mon site.  Merci à toi qui m'as donné cette impulsion.
Jean-François

Reçu le 01 octobre 2012
Ton jardin est grand mais, le jour où il sera rempli de ces fleurs, alors moi, modeste bouton, j'irai sur le petit nuage situé juste au-dessus. Toujours présente mais face à toutes ces sommités de la littérature et de la poésie, je me ferai plus discrète, telle la violette ! Et si... un producteur ou un scénariste remarquait ton roman au point d'en faire un film ? Tu imagines ! Quelle récompense cela serait pour toi et, j'en serai tellement heureuse pour toi, mon ami ! Sur cet espoir, je te laisse. Je vais comme chaque soir remercier tous ceux qui le méritent !
Michelle

Reçu le 02 octobre 2012
Tu ne crois pas à la possibilité qu'un scénariste ait envie de faire un film de ta "Guillotine dans un train de nuit" ?
Michelle

Envoyé le 02 octobre 2012
Bonjour, Michelle !
Ce en quoi je crois : il y a dans Une guillotine dans un train de nuit tous les ingrédients pour faire un bon film dans le genre fantastique, avec l'incessant combat entre le bien et le mal, l'ombre et la lumière, le ciel et l'enfer, la mort et la vie, l'amour et la haine (tu peux y ajouter ton grain de sel !), à l'image du monde depuis que le monde est monde. Et puis j'aime beaucoup le personnage d'Ernestine Généreuse, la voyante qui voit au-delà du réel, qui maîtrise le sens de l'ailleurs, qui a le pouvoir de s'affranchir des contraintes du temps et de l'espace. J'ai toujours été attiré par ces personnages extralucides qui évoluent entre notre monde et le monde invisible, comme j'ai été attiré par Madame Visnelda, la grande exorciste de l'Etang-Salé, qui a eu son heure de gloire. Sitarane aussi a voulu goûter à l'invisibilité à sa façon, et nous savons où cette quête l'a mené.
Ernestine Généreuse est une vraie initiée, avec un parcours extraordinaire. Qu'est-elle venue faire à La Réunion dans les années 1910, alors qu'elle aurait pu avoir une belle carrière de voyante en Europe ? Mystère. Ou alors sa mission était d'apporter sa lumière là où on en avait le plus besoin. C'est ça la clé. Lumière ? Amour ? Argent ? Pouvoir ? Tout cela n'a un sens que si vous l'apportez à ceux qui en ont le plus besoin, au bon moment, en se moquant des frontières. Sinon, à quoi bon posséder tous ces atouts ? Et puis si vous les possédez, ce n'est pas pour vous, mais pour les autres.
Et de l'argent, il en faut beaucoup beaucoup pour faire un film ou un téléfilm. Raison pour laquelle je garde les pieds sur terre, et puis on se bouscule au portillon des scénaristes. Une chose est sûre : ce genre de projet fait rêver tous les écrivains, alors rêvons.
A bientôt
Jean-François

Reçu le 03 octobre 2012
Bonjour Jean-François,
Très contente d'avoir de tes nouvelles et de constater ta belle publication chez Gallimard.
Bonne idée d'écrire sur Sitarane!
Monique Agenor

Reçu le 03 octobre 2012 :
Bonjour, Jean-François !
Eh oui, incroyable mais vrai ! Tu es le premier et seul homme que je côtoie qui ne pense pas que les voyantes soient des êtres maléfiques. Cette femme généreuse, comme son nom l'indique, détenait la clé. Comme tu l'expliques, sa générosité a voulu qu'elle redistribue autour d'elle tous ces dons qu'elle possédait. Elle avait aussi une certaine grandeur d'âme pour faire cela. Ces  femmes ont de tels atouts que beaucoup de prédateurs, non initiés, naissent  autour d'elles et profitent de la faiblesse de gens en détresse qui les appellent ! Hélas !

Reçu le 06 octobre 2012 :
Bonjour,  Monsieur ! Une amie m'ayant parlé avec autant d'amour pour votre île que de conviction pour votre roman que j'ai cédé. J'ai lu ! Dans votre livre, Sitarane, le nègre africain, règne en maître, répandant la peur ! Peur de la nuit pendant laquelle le sud de la Réunion voit commettre sur ses terres,  multiples vols, viols, meurtres, tous plus odieux les uns que les autres. Bientôt toute l'île est gangrénée par cet homme maléfique qui ne respecte même pas les chiens, à fortiori les hommes ! Au fil des pages, le lecteur en haleine, ressent l'âme africaine qui plane ! Qui a séjourné sur cette île, visité les "hauts", écouté son peuple, a ressenti la même chose que dans votre roman, m'a-t-elle dit ! Derrière cet homme maléfique, au destin macabre qui va le mener vers la guillotine, c'est toute l'âme de votre île que l'on entend pleurer. Ici en métropole, un tel être aussi abject, aurait été enterré dans l'anonymat afin d'être oublié de tous le plus vite possible et, surtout pas de fleurs, de fruits etc. C'est là aussi toute la différence entre nos deux cultures ! Différence qu'il est bon de partager grâce à ces romans "témoins", comme l'est le vôtre ! Mon amie a eu mille fois raison de m'encourager ! Merci à elle et surtout "Merci à vous" de nous avoir fait partager une page de l'histoire d'une île lointaine par les kms, mais proche par le cœur !
Michelle Audreno

Envoyé le 08 octobre 2012
Madame Audreno, bonsoir !
Je vous remercie de cette note de lecture, et surtout d'avoir osé lire ce roman qui met en exergue une page douloureuse de l'île.
Vous posez une question qui m'a longtemps hanté : pourquoi les Réunionnais, au moment des crimes, se sont-ils identifiés à Sitarane ? Pourquoi, aujourd'hui encore, on continue à lui rendre un culte. On continue à le craindre. Certains n'osent même pas prononcer son nom. Sa tombe est toujours bien entretenue. Entre la peur et la vénération superstitieuse, on le prie, on lui demande d'intervenir dans les affaires de ce monde, soit pour le mal, soit pour le bien.
Plus d'un siècle après, les Réunionnais se souviennent de Sitarane. C'est incroyable !
Ce dimanche, j'ai dédicacé mon roman dans le cadre du 5ème Salon du Livre Jeunesse, et j'y ai rencontré l'un des descendants des époux Robert. Grand moment d'émotion, vous pensez bien. Il m'a dit plusieurs choses qui m'ont bouleversé : un, la tombe des époux Robert dans le cimetière de la Rivière Saint-Louis n'est pas aussi bien entretenue que celle de Sitarane (de plus, à Saint-Pierre, il y a un gardien de la tombe de Sitarane) ; deux, les parents des époux Robert, à l'époque, ont dit que si l'instituteur Robert n'avait pas étalé au grand jour ses richesses, lui et sa femme n'auraient pas été assassinés (culpabilisation de la victime comme dans le viol) ; trois, les époux avaient une petite fille de 5 ans environ, et ils l'avaient laissée avec la grand-mère, c'est ainsi qu'elle a eu la vie sauve.
Voilà ce que je peux ajouter de plus par rapport à cette histoire.
Cordialement
Jean-François SAMLONG

Envoyé le 09 octobre 2012
Bonjour, Jean-François !
Que la question : "Pourquoi les Réunionnais se sont-ils identifiés à Sitarane", t'ait hanté longtemps, ne me surprend pas et comme je te comprends. Pourquoi raviver de si grandes douleurs ? Dois-je ou pas écrire ? Je te dis : " Il le fallait, pour tous ! Tu as un devoir de mémoire, et, tu l'as très bien fait. Par contre, ne t'étonne pas que les réactions soient totalement différentes, surprenantes même ! L'aurais-tu écrit pareil si tu avais rencontré les descendants des époux Robert avant ? Savoir que leur petite "puce" de 5 ans a échappé à une fin atroce t'aurait sans doute dicté un chapitre supplémentaire ! Tu écrivais, il y a peu de temps : "1 livre, 1000 lectures" ! Je suis tout à fait d'accord. D'ailleurs, ne penses-tu pas que, le vécu de chaque lecteur, peut avoir une influence sur ses impressions quand il tourne la dernière page d'un roman ? Le récit compte autant pour celui qui lit que pour celui qui écrit, de cette manière le lecteur ne devient-il pas coauteur tant il rentre dans la peau de l'écrivain ? Rassure-toi, j'ai beaucoup aimé ce nouveau roman, mais je reconnais qu'il m'a "chamboulée" différemment de L’Empreinte Française, de La Nuit Cyclone ou de L’Arbre de violence, trois de tes livres pour lesquels j'ai une affection particulière ! Tu évoques la "culpabilisation de la victime comme dans le viol ", LOGIQUE !!! Et j'imagine très bien combien tu as dû être bouleversé en écoutant les descendants des époux Robert. A propos, ce 5ème festival s'est-il bien passé ? Tu as eu beaucoup de demandes de dédicace ? J'attends de voir tous tes commentaires sur ton site que je visite très régulièrement.
Bonne journée Michelle 

Reçu le 12 octobre 2012 :
Bonjour, Jean-François !
En regardant les photos, on s'aperçoit que les lecteurs avaient en grand nombre répondu "Présent". L'on ne peut manquer de remarquer la "joie" que procure toujours la rencontre de l'écrivain avec ses lecteurs ! Preuve en est donnée avec ces nombreuses photos ! "Que serait l'auteur sans son lecteur ?" Avec la plus grande gentillesse, je réponds : "RIEN" ! L'auteur et le lecteur sont des jumeaux engendrés par "mère Littérature" ! Par conséquent, dès les premières phrases du roman, le lecteur se met dans la "peau" de l'écrivain, ne faisant "qu'un" ! Mais, si le rêve n'arrive pas ou si l'histoire n'appâte pas suffisamment, alors il peut y avoir rupture ! Evidemment, l'auteur doit apporter à travers ses mots, une certaine affection dont le lecteur a besoin pour survivre à son tour dans l'écriture de l'auteur. Ces 6 et 7 octobre, au 5ème salon du livre de jeunesse de l'océan Indien, l'œuvre était accomplie puisque l'affection des lecteurs se reflétait sur leurs visages ! Bonne journée !
Michelle.

Reçu le 23 octobre 2012 : 
Après avoir assisté à deux interviews concernant votre nouveau livre, il était normal de le commencer. Je n'en suis qu'au quatrième chapitre mais j'ai hâte de lire la suite, de voir Sitarane définitivement sombrer, de redécouvrir l'épilogue d'une histoire que je croyais connaître.
Vincent Dandrade

Reçu le 25 octobre 2012 :
Eh oui, l'hiver approche, hélas ! Cette nuit, j'ai pu écouter l'émission "La danse des mots" sur RFI et surprise, un certain JF. Samlong parlait de son nouveau roman ! Dans Sitarane, on peut lire "Satan", ce qu'il était ! Tu dis avoir créé du suspens ! Je confirme, je dirai, tu l'as fait au-delà de nos espérances de lecteur. Ton entretien était parfait, tu as dit l'essentiel, et tu as fort bien parlé, à la fois du roman mais aussi de ton île ! J'ai beaucoup aimé D. Waro chantant Brassens.
Michelle

Reçu le 15.11.12
Bonsoir Jean-François,
Je t'ai écouté avec beaucoup d'intérêt à l'occasion du lancement de ton roman aux éditions Gallimard ; j'ai écouté tes explications très pertinentes relatives aux raisons du succès de la littérature antillaise par rapport "à la réunionaise"... pour faire bref, je souhaite que ton roman connaisse le succès qu'il mérite ; dès que possible, je me le procurerai !
Georges Bredent

Reçu le 15.11.12
Bonjour Jean-François, Comme toujours, je relis mes livres et Une guillotine dans un train de nuit n'a pas échappé à ma règle ! La première fois, je me suis attachée au fond et presque uniquement au fond tant l'histoire est prenante, forte, dure, incroyable ! La seconde, j'ai pu admirer la forme ! C'est alors que j'ai retrouvé tout à fait le style des romans d'avant ! Tu y as mis toutes tes tripes, cela se voit, cela se sent  ! A chaque page, j'ouvre un peu plus les yeux, me disant que, malgré le temps, les rides et la mémoire qui flanche, les choses restent intactes. Pour écrire ce roman, tu n'as pas hésité à, descendre au fond de toi afin de refaire jaillir une odeur, une image, quelques mots de poésie pour affronter la violence et, surtout pour s'en protéger ! On a tout un  tas de ressources à disposition à l'intérieur de soi, il suffit de prendre le temps d'aller les chercher ! C'est ainsi que l'on fait de la "belle littérature" ! Félicitations cher ami ! Bisou !
Michelle

Reçu le 15.11.12
Dès les premières lignes d’Une guillotine dans un train de nuit, j’ai été happée par le suspense et le rythme (la vitesse du train et ses arrêts) qui m’ont emportée d’un point à l’autre de l’île dans les pensées d’un homme qui a laissé des traces profondes et encore très vivaces dans l’imaginaire du peuple réunionnais. Cette homme, Sitarane, dont je connaissais surtout le don d’ubiquité à travers les paroles d’un ségatier d’ici, et dont j’avais entendu dire qu’il revenait la nuit boire les verres de rhum ou fumer les cigarettes que de fidèles adeptes déposent régulièrement sur sa tombe. Je dois dire que je craignais de m’ennuyer car je connaissais le dénouement de l’histoire, sans mystère puisque connu de tous. Et ce d’autant plus que la guillotine, voyageant dans le même train que Sitarane, sa tête ne pouvait être que tranchée ! Mais j’ai été sous le charme de l’agencement des mots et de l’histoire menée sans rythme faiblir d’un bout à l’autre du chemin de fer, comme les étapes d’un chemin de croix. Je voyais les scènes, les détails de la mise en scène, je découvrais les pensées des trois acolytes, dont je dois l’avouer, j’avais oublié qu’ils pouvaient être, avant d’être pris dans l’engrenage de la violence et d’entrer dans une espèce de légende, aussi des être humains de chair et d’os. La richesse de l’écriture et le style prenant et haletant m’ont absolument enchantée. Je craignais cependant de me laisser envoûter par ce Sitarane buveur de sang, mais la réflexion et la lumière que dégage la belle plume du romancier m’ont poussée à aller au-delà de ma peur, au bout de ce voyage vers la mort et dans la folie des hommes. Je ne pensais pas que des faits aussi graves et douloureux allaient susciter en moi une gamme d’émotions allant du plaisir de lire un beau texte à la peur et à l’incompréhension quant à ces actes sanguinaires. Et aussi tant de questionnements, entre autre sur cette voyante, Ernestine Généreuse, dont je ne me doutais pas de l’existence, et qui me semble tout à fait extraordinaire pour ne pas dire irréelle. Comme je l’ai écrit plus haut, j’avais entendu parler des pratiques dont Sitarane faisait l’objet. Et, ce premier novembre 2012, m’étant rendue au cimetière de Saint-Pierre, comme toutes les autres années, je décide de faire un détour à travers les allées pour voir de mes yeux la tombe de ce personnage dont le roman m’a aidée à appréhender en partie l’histoire. Et là je découvre un espace qu’on dirait chargé d’émotions, la tombe est d’un rouge vif, juste en face d’une croix tout aussi rouge. De nombreux bouquets de fleurs sont déposés à même la terre et deux hommes encensent la tombe. La scène est très impressionnante, un court instant je me demande si je n’ai pas devant moi les descendants de Sitarane, mais c’étaient plus sûrement des adeptes. Je ne peux contenir un sentiment de peur et de respect et m’empresse de partir. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de vie autour de cette tombe et que Sitarane est présent, du moins son esprit. Il n’est pas mort, ceux qui sont morts sont ceux que l’on a oubliés. Avant de partir j’ai eu le temps de lire le nom des trois acolytes, Sitarane, Fontaine et Saint-Ange, inscrits d’une écriture malhabile sur la croix plantée sur la tombe par quelqu’un qui a peut-être voulu les réunir au même endroit, trois en un, trois hommes avec chacun une compétence différente, mais associés l’un à l’autre, ils ont démultiplié leur force. Saint-Ange et sa poudre magique, en tout cas bien mystérieuse pour l’époque, Fontaine et son habileté à ouvrir les portes (toutes les portes ?), Sitarane et son pouvoir d’être partout à la fois et d’être encore là aujourd’hui.
Céline HUET

Reçu le 17.11.12
Bonjour, Jean-François !
Ofèt moin la oubli di aou, mi doi rolir ankor in kou oute liv, dèk moin nora inn ti tan, akoz moin la rolèv inta fraz anndan lé tro gayar, mi domann amoin ousa ou trouv tousa, ou koné bann fraz nana la limièr anndan-la, kan ou lir i trap aou, lé kom in lévidanse, kom in manzé pou lo kèr. Pou lo promié léktur, moin té vé pa ralanti pou rolèv tousa, mé mi konte bien arlir ali é prann note dann in kayé. Noré été pli vite ékri dann lo liv, mé moin lé in moune i ékri pa dann liv ! (En fait, j’ai oublié de te dire que je relirai ton roman dès que j’en aurai le temps, car j’y ai relevé de nombreuses phrases alléchantes, et je me demande où tu vas les chercher, ces phrases lumineuses qui captivent quand on les lit ; c’est comme une évidence, une poésie qui nourrit le cœur. Lors de ma première lecture, je n’ai pas voulu m’attarder à les relever l’une après l’autre, mais je compte bien tout relire en prenant des notes dans un cahier. Cela aurait été plus facile pour moi d’écrire dans le livre, mais je suis quelqu’un qui n’écrit pas dans les livres.) Céline HUET

Reçu le 26.11.12
En résonance à la décapitation de Sitarane, je t'envoie un texte qui fait partie d'un recueil de nouvelles que j'ai entrepris d'écrire à l'intention de mes deux filles (note de JFSL : j’espère que ce beau texte sera édité). L'une a 24 ans et l'autre 18 ans. J'ai été bouleversé par la décapitation d'un mystique musulman, incomparable poète que Massignon comparait au Christ. En fin d'année dernière j'ai assisté à un concert de musique soufie qu'un groupe de Mahorais la Kour donnait à la Chapelle Pointue. Je n'avais jamais visité ce monument historique. Elle m'a inspiré ces quelques pages. Si l'on est un tant soit peu attentif, il se passe des choses exaltantes dans notre île, des télescopages  improbables ailleurs. Des moments de grâce faits de riens du tout comme celui que j'ai vécus il y a quelques années maintenant : j'habite à Terre Sainte, là où les cases sont comme collées les unes aux autres. De ma chambre à coucher à celle de mon voisin il n'y a que trois mètres de distance. Le dimanche matin, au cours du nettoyage hebdomadaire, au milieu du bruit des perceuses, des scies électriques, chacun y va de sa sono poussée à fond. Mon voisin est ramasseur de bouteilles et a quitté l'école en classe primaire et est grand amateur de Zouk love. Un jour j'ai mis un CD de la Callas. À un certain moment le morceau étant terminé, mon voisin se penche au-dessus de la palissade en tôles et me dit : " Armet morso la, sa lé gayar! " Dans ces moments-là, le ciel devient plus bleu et tout paraît alors possible. Ça, c'est aussi La Réunion, mais comme tu le dis qui s'en intéresse ?
Amicalement Al Ramalingom

Reçu le 27.11.12
Jean-François Samlong, bonjour ! Merci tout d'abord d'avoir accepté mon invitation au nom du centre Saint-Ignace.
Nous avons partagé un agréable moment avec Sitarane et sa bande. Je n'en doutais pas. Le sujet présentait en lui-même les ingrédients de la réussite. Et l'auteur que vous êtes ne pouvait qu'éveiller l'intérêt pour cet ouvrage. J'ajoute que grâce à cette rencontre, nombre de personnes ont découvert le centre Saint-Ignace et à travers notre bulletin, un ptit mot trois pti pas, les activités de ce centre qui est avant tout un lieu ouvert à tous, un lieu de découverte et de dialogue. Je suis sûr que nos activités à venir verront le retour de pas mal de personnes qui nous ont fait l'honneur d'être là. Quant à la vente de vos livres (et ce n'était pas l'objectif premier), je m'en réjouis. Si Rencontre avec un auteur peut contribuer à leur diffusion, je ne peux que m'en féliciter et conclure que la soirée a été une réussite très sympathique.
Elie Cadet Responsable du centre Saint-Ignace

Reçu le 03/12/ 2012
Bonjour, M. Samlong, Quand j’ai commencé ce roman, Une guillotine dans un train de nuit (Gallimard, 2012), je ne vais pas vous cacher que j’ai été un peu déstabilisé par votre écriture d’une part, une écriture riche mais parfois un peu complexe dans la syntaxe, et l’histoire d’autre part, qui je trouve, est un peu longue à démarrer. Qui sont ces hommes ? Quand l’action va-t-elle démarrer ? Peut-être suis-je trop impatient dans un monde où tout va vite, où l’immédiateté est devenue la règle en tout domaine. Mais la force de votre roman est qu’une fois que j’ai été accroché, je fus pris par l’histoire, ce rythme, il fallait que je finisse alors qu’on sait dès le début où vous nous emmenez. Il n’y a pas de suspens, mais une fascination pour ces personnages, hors du temps, hors de notre temps, et pourtant reflet de la cruauté de nos contemporains. Sitarane est si loin de nous, sur son île, dans son siècle, et pourtant... Malgré tout, une question me trotte dans la tête : la fascination malsaine qu’exerce encore ce personnage sur un certain nombre de Réunionnais ne risque-t-elle pas de trouver une nouvelle génération de gens perdus, désœuvrés à cause de ce roman ? Mais en même temps, avec cette théorie, on ne parlerait plus d’Hitler sur prétexte qu’il fascine encore de nos jours des néo-nazis de par le monde... mais la question reste ouverte, me semble-t-il... Pour conclure, merci de m’avoir fait découvrir une page obscure de La Réunion, conséquence en partie du moins de la colonisation et de ses inégalités, mais au-delà, cette histoire dit beaucoup de la sauvagerie que nous avons en chacun de nous. En espérant avoir, au moins en partie, compris ce roman original et entêtant, comme un parfum qui laisse une odeur entêtante derrière lui.
Fabrice PETIT

Envoyé le 04/12/2012
Monsieur Petit, bonjour ! Je dois vous avouer, M. Petit, que votre franchise et la pertinence de vos remarques me touchent profondément. Je n'ai pas réponses à toutes vos questions, dont certaines relèvent d'un questionnement lié à la sociologie, à l'anthropologie, voire à la psychiatrie, mais je peux vous apporter quelque lumière. A propos du suspens, comme le dénouement est connu, j'ai voulu faire en sorte que l'écriture soit elle-même le lieu du suspens avec le train qui donne son tempo à l'intrigue, avec les retours en arrière, les monologues intérieurs que je prête à Sitarane, d'où effectivement cette impression que l'histoire "est un peu longue à démarrer", mais je n'avais guère le choix pour harponner le lecteur. Il y a un risque : qu'il abandonne trop vite sa lecture ! Je ne sais pas si cette fascination pour Sitarane est malsaine, en tout cas, d'après les propos que j'ai recueillis sur sa tombe, au cimetière de Saint-Pierre, il s'avère qu'on le prie autant pour nuire à son prochain (pratiques de la sorcellerie) que pour faire le bien (exaucer un vœu). C'est ce qui me fascine dans cette histoire. Un peu comme si Sitarane avait été sanctifié par la guillotine. Il y a une étude sociologique à faire sur la question, qui dépasse mes compétences de romancier, pour qu'on comprenne un peu mieux pourquoi, plus d'un siècle après, on se prosterne toujours sur la tombe de Sitarane. Et pour quelles raisons ? Mais je doute qu'on fasse une telle étude, car les bien-pensants veulent plutôt qu'on oublie la figure légendaire de Sitarane qui nuit à l'image de l'Africain (esclaves et descendants d'esclaves) dans la société réunionnaise, préférant tenir des discours honorifiques sur les esclaves, les noirs marrons qui ont commis de nobles actions. Je ne suis pas contre, évidemment. Mais en même temps, non seulement Sitarane appartient à l'histoire de La Réunion, mais il continue à faire partie du présent des Réunionnais. Et les gens perdus, désœuvrés, comme vous dites, n'ont pas attendu la parution de mon roman pour aller jeter des prières et des fleurs sur sa tombe. Cette fascination mêlée de crainte dure depuis plus d'un siècle. De plus, je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de gens perdus et désœuvrés... Fallait-il en parler ? Là, vous posez une question fondamentale, même si un Hitler n'a rien à voir avec un Sitarane. L'écrivain doit-il s'interdire certains sujets ? Non, bien sûr. Tout dépend comment il le traite. Et dans mon roman je ne fais l'apologie ni du crime, ni de la sorcellerie, ni de la violence. Avec l'histoire sanglante de Sitarane, on tend même à l'universel puisqu'on y retrouve l'incessant combat entre le Bien et le Mal, l'ombre et la lumière - la lumière étant représentée par la voyante Ernestine Généreuse à qui je dédie mon roman, d'ailleurs. Ma démarche est claire : mettre en évidence l'extrême violence qui secoue l'île depuis l'aube du peuplement, "conséquence en partie du moins de la colonisation et de ses inégalités", dites-vous avec justesse, sans nier la violence qu'on porte en soi, notre part de barbarie. Double point de vue que je partage avec vous. Enfin, je vous dirai qu'après la publication de mon roman, je me suis intéressé à la question des morts et des vivants, à la possibilité que nous avons, nous les vivants, de prier pour les morts, quels que soient les crimes commis, pour qu'ils dorment en paix, enfin. Je me suis intéressé également à la psychanalyse, par exemple à ce qu'Octave Mannoni écrit : "Cependant, de la mort, il y a bien parole, et du coup nous sommes dans le symbolique, non pas seulement parce qu'il y a parole... mais parce que le réel, l'imaginaire et le symbolique étant les trois dimensions de la parole elle-même, la mort y fonctionne à la façon d'une sorte particulière d'objet, car un symbole est un objet dont les qualités réelles ou imaginaires ne comptent pas." Donc il faut qu'il y ait une parole autour de la mort de Sitarane, mais mon souhait, c'est qu'on le laisse dormir en paix. N'a-t-il pas payé assez cher ses meurtres ? Jean-François SAMLONG

Lu le 14/12/12
« Un roman à couper le souffle… A l’évocation de son nom, des frissons parcourent la peau. Les souvenirs remontent, la voix de grand-mère résonne : « Sitarane, c’est le diable », disait-elle. C’est ce que son père n’avait cesse de lui répéter. Alors quand Jean-François Samlong offre tout un ouvrage consacré à Sitarane, ce n’est pas sans craintes qu’on aborde ses pages. Une guillotine dans un train de nuit (Gallimard), nous ouvre une porte de l’histoire. Celle d’une histoire terrifiante qui a bouleversé jadis La Réunion. Sitarane, à bord d’un train, est transporté. Sa condamnation à mort en vue… » (Lire l’interview que Jean-François Samlong a consacré à Florence Labache, pour le Quotidien de La Réunion ; photo : Thierry Villendeuil).

Reçu le 23/12/12
Comme tu l’écris toi-même, Une guillotine dans un train de nuit est un roman où les faits historiques servent de tremplin à la littérature. Un roman où tu mets en application ton aventure de l’écriture plus que l’écriture d’une aventure.  A n’en pas douter, il faut saluer le travail considérable qui a été nécessaire à construire chaque phrase, à choisir chaque mot. Encore une fois, c’est toi qui le dis, tu as mis en œuvre une méthode scientifique de travail et je dois avouer que la lecture de ce roman m’a renvoyé à mes années collèges & lycée. A ces années où mes professeurs de français, certains plus que d’autres, afin d’enrichir notre vocabulaire, usaient du même principe que tu appliques à ces nombreux passages où les mots se succèdent, à un rythme rapide, saccadé, un roulement de tambour sur le chemin qui mène à la guillotine, le bruit répétitif des roues sur la jonction des rails. J'ai aimé cela. Le Réunionnais que je suis, qui connaissait une bonne partie de l’histoire et bien entendu son dénouement est cependant moins « fan » de l’annonce répétée de cette fin. Mais cette histoire, n’est plus pour les Réunionnais, alors cela doit bien se justifier.  Je comprends bien la nécessité de tenir le lecteur en haleine. J’aime ces moments où le « je » déboule sans crier gare et nous fait nous dire…  « Mince, qui parle là ? Sitarane ? Jean-François ? » Et je ne peux m’empêcher de me rappeler qu’en 1979 tu publiais un essai sur la sorcellerie à La Réunion et que tu avais eu l’occasion de rendre visite à Madame Visnelda au cours de ses séances de désenvoûtement. Combien de fois Sitarane a-t-il été présent dans la salle d’exorcisme ? T’a-t-il demandé de raconter son histoire ? Trente  ans plus tard, en 2009, tu écrivais « Il était une fois… Sitarane » (comme il y eut « Il était une fois… Madame Desbassayns » et « Il était une fois… Sarda Garriga ») Et voici que Gallimard retient cette histoire-là… Un tremplin ? Gallimard pour qui il est nécessaire, dans cette aventure de l’écriture, de casser certains codes. Casser les codes de la lecture facile avec des points, des virgules là où on les attend. Le « petit » lecteur que je suis a été par moment perturbé par cette écriture. Mais c’est sans doute aussi cela l’aventure de la lecture. Et lorsque j’ai refermé ce livre, il m’est resté une impression étrange. Je me suis demandé ce qui m’avait touché. Et je me suis aperçu de quelque chose dont je ne suis pas très fier. Je me suis aperçu que le passage qui m’avait le plus troublé était celui de la capture de Sitarane… et l’entrée en scène des bergers allemands. Tu l’as dit, il ne s’agissait pas pour toi, dans l’évocation des crimes de cet assassin, d’aller trop loin dans le voyeurisme. Et ainsi, ces passages sont courts. Moi, lecteur,  j’ai lu ces passages comme je regarde les actualités ou comme je lis les journaux. Je survole les faits divers et je tourne la page sans m’émouvoir tant tout cela est devenu banal. Et là, je suis ému de lire que ces deux chiens, dressés pour tuer des assassins, et donc voués à la cause du Bien, sont les victimes du Mal. Ce passage, dans ton livre, est long, très long. Alors on a le temps de s’en imprégner. On en vient à humaniser ces deux êtres vivants, des animaux « innocents » (et au passage, la première et la dernière victime de Sitarane - de son vivant - sont des chiens !). Et que dire de ces hommes et de ces femmes, dont très peu se rappellent les noms et auxquels on ne voue aucun culte, qui ont sombré dans l’oubli et n’ont droit à aucun égard. Alors je dis bravo, parce que ce livre me fait réfléchir sur mon échelle de valeurs. Et lorsque je vois les fleurs sur la tombe de Sitarane, j’ai envie d’aller sur celles de ses victimes, si je peux trouver leurs tombes, afin d’y déposer des fleurs et de leur dire « Pardonnez-leur : ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient… »
Grégory AH-KIEM

Reçu le 23/12/12
Après avoir lu deux fois La guillotine dans un train de nuit, j'ai voulu absolument voir la tombe de Sitarane. Je suis venue, j'ai vu ! Pourquoi ce jour-là, à cette heure-là, ces deux hommes se trouvaient-ils là alors que nous nous approchions de la tombe ? Ils étaient là pour faire un sacrifice ! Sacrifice de deux coqs, auquel j'ai assisté du début à la fin ! J'ai soudain eu l'impression d'être en 1909, face à cet assassin perpétrant l’un de ses crimes. L'un des deux hommes, habillé de blanc, s'est livré à des incantations pendant que l'autre, tout de rouge vêtu, préparait les deux coqs. Tétanisée devant l'évènement, je n'ai pu filmer certaines scènes de cette cérémonie qui restera un moment très fort de ma venue sur l'île.
Michelle Lambert

Reçu le 26/12/12
Je viens de finir Une guillotine dans un train de nuit. C’est un livre très impressionnant et j’y pensais souvent pendant la période que je le lisais. J’avais un tas de choses à faire en même temps, c’est pour ça qu’il m’a fallu quelques semaines pour cette lecture; c’est néanmoins un livre captivant. A la différence des lecteurs réunionnais je ne connaissais pas beaucoup l’histoire de Sitarane et les autres, à part ce qu’on peut lire (de très simplificateur) dans un guide touristique tel « Lonely Planet ». Mais en plus que les faits d’une histoire, chaque fois que je lis un de vos ouvrages j’apprends beaucoup sur l’art d’écrire, surtout en ce cas à propos de la maîtrise du point de vue et de la distanciation. J’admirais continuellement votre façon de tenir à distance, dans la première moitié du livre, les idées et les expériences du personnage principal par le moyen des commentaires du narrateur. Ainsi on a pu réfléchir et même comprendre (bien qu’horrifié) la motivation du personnage sans pouvoir ni vouloir s’identifier à lui dans ses mauvais choix et ses mauvais actes. Cela me rappelle le soin que vous avez mis aux scènes de traumatisme dans La Nuit cyclone, pour éviter l’éventuel voyeurisme du lecteur. Il en est de même ici, je crois, pour la partie du livre dans laquelle on suit l’arrestation, le jugement etc ; vous refusez adroitement l’éventuel sentiment de satisfaction ou de vengeance même au sens figuré chez le lecteur, en montrant la dure et affreuse réalité de la peine capitale. Chez nous en Australie il y a eu un personnage criminel historique devenu plutôt symbole ou même idole nationale pour plusieurs, mais qui n’a pas la résonance spirituelle dont vous parlez à propos du culte de Sitarane ; je parle de Ned Kelly, qui était « bushranger » (espèce de bandit de route / de la brousse) au dix-neuvième siècle, voleur et meurtrier lui aussi mais qui, même de son vivant, avait la sympathie d’une partie de la population – lui aussi a été condamné à la peine capitale et sa mythologie en est devenue plus forte, jusqu’à ce que les gens semblent oublier ce qu’il a été. Son influence est plutôt sur le plan culturel (légendes, images, peintures, poésies, romans) que sur le plan spirituel / spirite; il n’y a rien par exemple de ce qui se passe au tombeau de Sitarane. C’est à un tel moment que je voudrais pouvoir m’exprimer aussi bien en français qu’en ma langue maternelle; il y a tant de nuances et d’intelligence dans votre roman que j’aimerais noter mais je trouve qu’il me manque un peu le vocabulaire ! Je vous envoie quand-même mes félicitations, c’est un livre important et dont on parlera longtemps.
Cordialement, Tracy

Reçu le 30/12/12
En dépit de ce titre couperet – qui me fait toujours frémir d’horreur – en dépit de la fréquentation de ce personnage atrocement patibulaire qu’est Sitarane, j’ai lu le dernier livre de Jean-François SAMLONG publié chez Gallimard, avec grand plaisir. Qu’on ne s’y trompe pas ! Je n’ai aucune attirance pour le morbide, le glauque, le sordide, épithètes qui viennent tout de suite à l’esprit dès que l’on aborde l’épopée sanglante et pitoyable du criminel buveur de sang. Non, je ne me complais pas dans l’horreur. Et l’auteur non plus puisqu’il a su garder tout au long de son récit une distanciation suffisante. Je cite : « Mais à la seule idée qu’il me faut écrire la suite, j’en ai la nausée. Je n’y renoncerai pas toutefois. » Pas de complaisance donc envers le crime. L’auteur ne se pose ni en défenseur, ni en accusateur ; il relate soigneusement ce que disaient les journalistes de l’époque et les rapports officiels de la gendarmerie et du procès. Et du coup, pas de complaisance non plus envers ceux qui sont « du bon côté de la justice », ni envers ce contexte sociétal si particulier en ce début de XXe siècle avec ces mentalités non encore sorties du concept esclavagiste et cet environnement colonial sans état d’âme. Á ce propos, j’ai relevé à plusieurs reprises cet agacement (mais sans doute est-ce plus que de l’agacement) de l’auteur envers ces comparaisons animalières qui foisonnent sous la plume des chroniqueurs de l’époque… comme elles fleurissent dans maints ouvrages de littérature. Évoquer l’animalité de l’autre, c’est lui refuser le droit d’exister en tant qu’être humain… L’intérêt constant que j’ai éprouvé à suivre cette espèce de « chemin de guillotine » inscrit dès le début de l’aventure vient de la mise en littérature de cet événement marquant l’histoire de notre île. En page de garde, cette note de l’auteur : « Cette histoire tisse des liens avec des faits réels et des personnages qui ont réellement existé, certes, mais tout le reste est littérature » Une belle littérature en tout cas… Les différents chapitres s’articulent sur ce train de nuit conduisant bourreau et suppliciés vers leur destin. Et les mots pour décrire cette course fatale rendent bien le caractère implacable de cet instrument de la destinée parcourant la profondeur d’une nuit sombre et inquiétante. Mais cette nuit est aussi celle qui embrume les pensées de Sitarane… du moins celles que lui prêtent l’écrivain : là aussi, le jeu des ressassements traduit bien ces pensées en boucle qui devaient, - qui pouvaient, peut-être – défiler dans l’esprit malade du bandit et crée une atmosphère lourde d’enfermement, d’impossible issue due à cette accumulation de crimes et de profanations venue d’un être aux extrêmes confins de la déshumanisation. Plaisir de découvrir un beau texte, donc et une belle composition. Mais le bonheur de la lecture ne serait pas complet s’il n’y avait dans ces pages autant matière à réflexion. Pourquoi cette violence ? Là je ne peux que citer J.F Samlong : « Depuis trente ans, en effet, je m’escrime à mettre en scène (à défaut de la comprendre et de la justifier) cette violence qui, venue du fond des âges, creuse jusque dans les entrailles d’une île… » Mais un élément d’explication ressort de la lecture de cet ouvrage dans lequel l’auteur, comme dans d’autres de ses œuvres relie les actes de violence au passé esclavagiste, colonialiste et au monde profondément inégalitaire que nous subissons toujours. Voilà qui peut expliquer aussi l’emprise d’un Sitarane sur l’inconscient de l’île, ces cultes insensés qu’on lui voue (faut-il qu’une population soit déboussolée pour trouver en un criminel tel que Sitarane, un vengeur !) , plus d’un siècle après son exécution, la peur et l’horreur qu’il suscite aussi comme si par le biais de ces actes sanguinaires, une porte s’était ouverte sur le Mal, sur l’enfer. Et… faut-il l’avouer ? Lorsque j’ai pris ce livre dans les rayons d’une librairie, avant de passer à la caisse, j’ai eu le réflexe d’arracher le bandeau rouge portant la mention « Sitarane story ». Story ? Heu… Pourquoi cet anglicisme ?
(Monique MERABET, 30 décembre 2012)

Reçu le 31/12/12
David et moi sommes de passage à Paris et nous avons eu cet agréable plaisir de retrouver votre dernier roman dans les rayons de la FNAC, parmi d'autres textes réunionnais et polynésiens. Je suis trop contente pour cette réussite et je vous en félicite ! Silvia Baage

Reçu le 06/02/13
Bonjour Jean-Francois Samlong,
Je me présente, Stanislas LATTE, ami avec Michelle Lambert, qui nous a offert votre dernier roman « Une guillotine dans un train de nuit » et m’a demandé (ainsi qu’à mon ami qui vous a écrit il y a quelques semaines) de vous écrire sur notre ressenti suite à la lecture de celui-ci.
J’ai débuté la lecture de ce roman il y a une semaine. Et je dirais, tout d’abord, que j’ai passé une semaine comme j’aimerais en passer souvent. Je m’explique.
Dès les premières lignes de ce roman, j’ai été captivé, embarqué par la musicalité du train qui chemine dans la nuit noire de l’île de la Réunion, amenant Sitarane à poursuivre son destin dont l’issue fatale est proche.
Tout au long du livre, je me sentais comme un passager à bord de ce train à découvrir la vie de cet homme et de sa bande au rythme du doux balancement d’une locomotive.
J’étais impatient à l’idée de retrouver ces personnages, le soir en sortant du travail et le week-end.
Il n’y a aucun suspens dans cette histoire, dont on connait la fin, mais celle-ci est prenante d’un bout à l’autre.
Contrairement à mon ami qui a trouvé le début un peu long, j’ai tout de suite était pris par l’envie de me nourrir, paragraphe après paragraphe, chapitre après chapitre, de votre écriture sur une page de l’histoire de cette île qui m’était totalement inconnue.
Comment l’âme humaine peut-être aussi horrible ? Cela me fait penser à certains tyrans de l’histoire du monde que tant de gens admirent et vénèrent encore. Des tyrans qui deviennent malgré eux des martyrs alors qu’ils ne devraient même pas obtenir ce titre ! Je pense en particulier à des personnes comme Hitler qui est encore adulé par un certain nombre…
Paradoxalement, comme vous l’expliquez dans votre roman, Sitarane peut être perçu, du point de vue de la population dite « esclaves » comme une revanche sur cette triste période où le peuple des « blancs » leur faisait subir des atrocités. Mais peut-on vraiment lui pardonner ses crimes au titre de cette revanche ? Je ne le crois pas ! Cet homme qui a comme leitmotiv le gout du sang, le plaisir de faire du mal, de tuer… ne peut être considéré comme un « vengeur » car ce n’est pas en combattant le mal par le mal que l’on fait avancer les choses ! Loin de là ! Et là encore, l’histoire nous en a montré une multitude de preuves !
Pour en revenir à votre roman même, j’ai été très dérouté par certains passages où la colère et la violence Sitarane sont sans limites. Son pouvoir de persuasion est tel, qu’il arrive à endoctriner sa vision du monde à toute sa bande ! Toute sauf une personne à mon avis. Je parle là du personnage de Saint-Ange qui arrive très bien à le manipuler comme il l'entend. D'ailleurs l’histoire lui donnera raison car c’est le seul à être gracié et envoyé au bagne où comme vous le dites si bien il y restera un nombre d’année supérieur à la moyenne. Je n’ai pu m’empêcher d’avoir un sentiment de dégout quand j’ai lu qu’il serait gracié puis, je l’avoue en apprenant par la suite sa déportation à Cayenne, je n’ai pu m’empêcher d’avoir un petit sourire de soulagement !
Je pourrais vous en parler, ou plutôt vous écrire encore et encore, tellement j’ai été enchanté de vous lire. Mais tout à une fin, alors je souhaiterais simplement vous féliciter pour ce roman qui m’a tenu en haleine d’un bout à l’autre.
Cela m’a permis de m’évader du quotidien, de vivre de nouvelles choses, d’avoir des sensations et de savourer nos sentiments. N’est-ce pas tout simplement cela le but d’un romancier ?
Au plaisir de vous rencontrer lors du prochain salon du livre à Paris avec Michelle.
Stanislas.

Reçu le 23/04/13
Le coup de cœur de la semaine : Une guillotine dans un train de nuit de Jean-François Samlong (Gallimard, 304 pages) Le titre déjà est très évocateur. D’emblée, l’on se retrouve comme au cinéma, confortablement installé, devant le grand écran de sa machine à impressions intérieure. Atmosphère, atmosphère ! Alors on ouvre le livre et on commence à lire. Deux citations en exergue, retiennent l’attention : « Rancune et colère sont aussi des choses détestables où l’homme pêcheur est passé maître. » Le Siracide. « La vengeance est un besoin, le plus intense et le plus profond qui existe. » Cioran. Sagesse et vengeance donc. Et de vengeance il sera beaucoup question dans ce roman. De sagesse aussi. Celle du narrateur omniscient. Mais n’anticipons pas. Tournons encore les pages. Surgit une dédicace : « A la mémoire d’Ernestine Généreuse, voyante extralucide. » Voilà qui ouvre des horizons...